CONÇU DE L’ESPRIT-SAINT, NÉ DE LA VIERGE MARIE

CONÇU DE L’ESPRIT-SAINT, NÉ DE LA VIERGE MARIE
 
Matthieu 1, 18-24 – 4e dim. Avent A (Homélie à Maredsous 19.11.2004)

Voilà probablement une des pages les plus délicates de l’Evangile. Délicate pour la finesse et la douceur avec laquelle elle exprime des réalités extrêmement profondes ; ceci est encore plus vrai chez saint Luc. Délicate aussi parce qu’elle exige une lecture subtile, nuancée, difficile pour tout dire. Conçu de l’Esprit Saint, né de la Vierge Marie. Depuis toujours, questions et objections se bousculent au portillon de ces deux affirmations que nous tenons régulièrement dans le symbole des apôtres. Autant l’avouer de suite : je ne répondrai pas à toutes ces questions. Je serai très heureux si, après m’être aidé moi-même, je puis aider l’un ou l’autre à enrichir la lecture qu’il fait de cette page, et à se préparer ainsi à fêter bientôt la naissance du Christ. Voici donc quelques réflexions.

Ce qui est en cause ici, c’est l’identité de Jésus. Qui est-il vraiment ? C’est lui qui est au premier plan. Marie ne vient qu’après, dans son sillage. Il faut oser entendre la phrase suivante : « La doctrine de la divinité de Jésus ne serait pas mise en cause, si Jésus était issu d’un mariage normal. » Celui qui a écrit cela occupe encore aujourd’hui un poste de premier plan dans l’Eglise. Il est cardinal et il s’appelle Ratzinger. [Honnêtement, je dois d’ailleurs ajouter qu’il a été contré par un très grand théologien. Mais même cette divergence de vues a quelque chose d’instructif quand il s’agit de lire ce texte.] Cette phrase que je viens de citer ne répond pas à toutes les questions. Mais elle les remet à leur place. C’est déjà énorme.

Il y a quelque chose d’unique dans la naissance de Jésus : c’est un signe qui est donné à ceux qui se demandent qui il est. Un signe. Pas une preuve. Un signe de quoi ? S’il est conçu de l’Esprit Saint, Jésus se défait des liens du sang. Il déconstruit radicalement la parenté, fondée sur ces liens. Ni par le sang, dira saint Jean, ni par la chair, ni par un vouloir d’homme. On va d’ailleurs retrouver cette démarche tout au long de la vie de Jésus. Aux noces de Cana : Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi ? En cours de route : ma mère, mon frère, ma sœur, c’est celui qui fait ma volonté. Et sur la croix : Femme, voilà ton fils, en désignant saint Jean ; fils, voilà ta mère.

Jusque là, jusqu’à Jésus, tout avait, si je puis dire, coulé du sein de Sarah, la femme d’Abraham. Il faut lire, en ce sens, la généalogie qui ouvre l’Evangile selon saint Matthieu. Il y a là tous les noms qui se succèdent et qui indiquent le choix de Dieu : une lignée bien précise, indiquée par les liens familiaux. Jésus veut précisément se défaire de ces liens, pour marquer que tous désormais participent au choix que Dieu a fait.

Ce choix que Dieu fait de son peuple ne dépend plus du sang. L’ange dit à Joseph : l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; il dit, en d’autres termes, que l’héritage ne dépend plus des liens du sang, il est ouvert à tout le monde. Il dit que, là où il y avait un motif d’exclusion (tu n’es pas du même sang que moi), il y a désormais un motif d’inclusion ; là où il y avait quelque chose de singulier, de particulier, il y a désormais une ouverture à l’universel. Saint Paul le dira autrement : il n’y a plus ni Juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme. Il aurait pu dire : il n’y a plus de généalogie. Il y a le Christ et désormais en Lui la descendance d’Abraham.

Je pense qu’il faut avoir le courage de formuler tout haut les difficultés que constitue la lecture de ce texte. Pour celui-ci, le père n’engendre pas ; le fils ne connaît ici-bas que son père adoptif ; et la mère reste vierge. Ceci dit, cette manière de faire éclater le schéma familial nous apprend une grande vérité : nous ne naissons ni d’un lieu ni d’une lignée définie. Et dès lors tout racisme se trouve déraciné par cette déconstruction. Le lieu d’où quelqu’un tire son origine ne peut plus être un motif de l’exclure ; pas plus que la famille à laquelle il appartient. Tout homme a le droit de se sentir chez soi partout et auprès de tous en famille. Y a-t-il découverte plus actuelle ? plus nécessaire, même après deux mille ans ?

Voici que Noël est proche. Si toute l’humanité se retrouve dans cette fête, plus sans doute qu’en toute autre, c’est peut-être parce qu’elle sent comme instinctivement que son unité pourrait bien s’enraciner à Bethléem. Au-delà de toutes les questions qui restent et auxquelles je n’ai pas répondu, voici un message d’une brûlante actualité.

Conçu de l’Esprit Saint, né de la Vierge Marie. Il y a du feu dans ces paroles. Je ne suis certainement pas parvenu à l’évoquer. Je demande à l’Esprit Saint de le faire brûler en chacun et chacune de nous, en tout homme et toute femme de bonne volonté, en tout homme et toute femme qui marche avec nous, à la recherche et à la poursuite de la paix sur la terre aux hommes que Dieu aime.

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