CROIX GLORIEUSE ?

HOMÉLIES

CROIX GLORIEUSE ?

Il est loin le temps où nous trouvions des calvaires au croisement de nos routes de campagne, de bien modestes chapelles surmontées d’une croix joliment ouvragée en fer forgé, il est loin le temps où les glaneuses se signaient à midi pour réciter l’angélus en plein champ, il est loin le temps où les mères de famille au cœur des chaumières signaient de la pointe du couteau la croûte d’une miche fraîche qu’elles allaient trancher pour nourrir leurs mioches, …

Et voilà qu’il est temps, nous dit-on, maintenant, d’enlever les crucifix des classes des écoles même catholiques, il est temps de gommer l’évidence des origines chrétiennes de l’Europe, il est temps d’adjoindre au pictogramme de la croix, celui de l’étoile de Juda, du Croissant des Musulmans, … Il est temps, il est temps, finalement, … d’atténuer, d’éviter le rappel gênant du Mystère de la Croix comme s’il risquait, entre autres, de hâter, par une magie jugée vilaine, l’avènement de l’épreuve que tout homme connaîtra, à part soi. La Croix est, par certains aspects, il est vrai, figure de supplice et de mort mais pour nous, chrétiens, l’épure et l’esquisse d’un sort empreint, imprégné d’une protestation, d’un cri en faveur d’une plus réelle justice, d’un triomphe de l’amour sur l’iniquité, l’ignominie.

Il convient toutefois de comprendre pourquoi, franchement, elle n’attirera pas, cette croix, pourquoi on en évacue l’image de nos vies. Il convient tout aussi honnêtement de tenir pour authentique l’effroi que peut causer un supplice, quel qu’il soit, ou la mort définitive, cette pire antinomie de la vie pour laquelle nous avons été créés. A telle enseigne, qu’après les trois, ou simplement déjà, les deux grandes dernières guerres d’Occident, 14-18, 40-45, on s’est empressé de tout faire pour qu’on n’ait plus jamais à souffrir encore pareillement, de la faim, de l’épouvante, de deuils perpétuels, …

Depuis Hiroshima, Nagasaki, Fleming a, par contre, d’un autre champignon, découvert la pénicilline. Pensez donc ! On avait enregistré des millions de morts à cause du nazisme et par ailleurs enfin, grâce à une molécule, un ciron, on ne mourait plus d’une tuberculose, d’une infection.

Le Plan Marshall a relancé les promoteurs dans toutes les disciplines. En agriculture, on a récolté de plus en plus. On a découvert des engrais, comme jamais. En zootechnie, on a créé en Belgique, le bleu blanc belge. Et ainsi de suite. On a tracé des autoroutes pour la croissance jusqu’à outrance. On a marché sur la lune. L’homme, semblait-il, avait retrouvé le sens et le goût du progrès. Jusqu’aux soixante glorieuses, l’apothéose ! Tout cela, je l’ai dit, car il y avait au cœur de l’homme comme un souci effréné certes, inconscient sans doute, de refuser à tous prix l’atroce et l’infâme, comme nos aînés avaient pu en pâtir jusqu’à nausée.

Konrad Adenauer et Charles de Gaulle, Robert Schuman et Jean Monnet, Paul-Henri Spaak ont ouvert des voies vers l’Europe. Le Mur de Berlin s’est d’ailleurs effondré. Les nationalismes se sont confondus. On croyait qu’on ne verrait plus de corps décharnés, de gazés, de barbelés, d’enfants forçats, d’enfants soldats, des reproductions plus vraies que peinture, notamment celle du Christ douloureux d’Issenheim par Grünewald.

Et cependant quand tout semble aujourd’hui, hum ! élargir les marchés, gagner en qualité, resplendir en majesté, on ne sait trop que penser, pourquoi on en vient à s’inquiéter ? Tenez, tenez ! De la recherche scientifique, à l’industrie, au commerce, en relations humaines dans les sociétés, on redoute une pénurie d’hydrocarbures, de tomber, en astronomie, sur un trou noir, de frôler la fin du monde. Bien belles, donc, les croissances obtenues mais avec combien aussi de déconvenues.

Quel est le prochain Président, le prophète, le tribun, le gourou qui nous rendrait l’espoir tout partout ? Les humbles Chartreux, quant à eux, ont une devise lumineuse pour notre propos : « Tandis que la terre tourne, la Croix demeure dressée ! » Passionnés religieux, ils s’inspirent, en droite ligne, de leur maître Jésus qui disait : « Aujourd’hui, demain, et le jour suivant, il faut que je marche vers Jérusalem ! » (Luc 13, 33) « Aimez-vous ! » (Jean 13, 34) « Bénissez ceux qui vous maudissent ! » (Luc 6, 28) « A quoi servirait-il à l’homme de gagner le monde, s’il vient à perdre son âme ? » (Mt 16, 26) « Ce que vous ferez aux plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous l’aurez fait. » (Mt 25, 40)

D’ailleurs, à son procès, car il a été condamné, lui, le Juste, il répondait : « Si j’ai mal parlé, prouve-le ; si j’ai bien parlé, pourquoi me gifles-tu ? » (Jean 18,23)  Et au sommet de son offrande, quand il a été élevé de terre, c’est lui qui disait : « Père, pardonne-leur ! Ils ne savent ce qu’ils font ! » (Luc 23, 34) Au larron, l’ami Dismas, autrement dit au brigand repenti : « Je te le déclare en vérité, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. »

Ainsi, nous aussi, nous avons accès auprès de Lui ! Voyez sa croix, au-dessus de l’autel de notre eucharistie ! Elle est dorée, glorieuse, victorieuse ! Et il est, ce Jésus, si beau et tellement paisible. C’est qu’il ne s’est pas esquivé, face à son destin. En tout et pour tout, il a tenté de tirer le meilleur parti de sa vie pour en faire une ode à l’amour et un secours pour les pauvres de cœur. Un signe pour les nations.

Il disait aussi à Marie, sa mère, figure de l’Eglise, en montrant l’apôtre qu’il aimait : « Femme, voici ton fils ! » (Jean 19, 26) Ne nous dit-il pas à nous dans un même souffle : « Fils, voici tes frères ! »

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